Un mémoire sur la Shodo-Thérapie
Après avoir obtenu un diplôme français de travailleuse sociale, j'ai
poursuivi mes études au Québec et ai obtenu un Master en Sciences
sociales.
Quelques années plus tard, au Japon, j'ai profité de mon apprentissage
en Shodo (calligraphie japonaise) pour préparer un diplome d'art
thérapeute.
Je me suis inscrite à l'école PROFAC qui propose des cours à distance et j'ai effectué un "stage" de Shodo-thérapie à Kyoto.
Un mémoire a alors été bâti pour dresser un bilan de mon activité et des bienfaits de la Shodo-thérapie.
Je vous laisse lire dans les articles suivants ce mémoire réalisé en 2007.
Bonne lecture.
Nolwenn
La Shodô-Thérapie
Mémoire présenté par Nolwenn DOITTEAU
à PROFAC 9, av La Fayette, 13200 Arles
Mars 2007
À Mikiko Fujiwara Sensei,
私は、日本滞在中に多くの事を与えて下さり、
熱心に書道を教えて下さった
藤原 幹子 こ先生にこの手記を捧げます。
INTRODUCTION 7
1- L’ART THERAPIE : PRINCIPES DE BASE
1.1- Présentation générale.
1.1.1- Historique
1.1.2- Le public ciblé.
1.1.3- Le choix du médium.
1.1.4- Le rôle du thérapeute.
1.1.5- Le cadre
a- La nécessité d’un cadre.
b- Le cadre libérateur.
c- Le cadre intégrateur.
1.2- Les concepts clés.
1.2.1- La création.
a- La création de l’artiste et celle du patient.
b- Les différentes vertus de la création.
c- Le potentiel de la création au fil du développement.
1.2.2- La relation patient-thérapeute.
a- Une relation maternante
b- Une relation transitionnelle.
c- Une relation transférentielle.
1.2.3- Un jeu ritualisé.
a- Le jeu
b- Le rituel.
1.3- L’intervention de groupe et l’intervention individuelle.
a- Les vertus du groupe.
b- L’Intervention individuelle.
c- Groupe ou individuel?
2- LE SHODO ET SES ELEMENTS THERAPEUTIQUES.
2.1- Présentation générale
2.1.1- Historique
2.1.2- Les différentes calligraphies.
2.1.3- Le matériel.
2.1.4- La posture du calligraphe.
2.1.5- La philosophie du Shodô.
2.2- Les éléments thérapeutiques du Shodô.
2.2.1- La création: le pont vers l’inconscient.
a- Les choix calligraphiques du patient.
b- La formulation d’émotions.
c- Les observations possibles.
2.2.2- Le silence.
a- Le silence du thérapeute.
b- Le silence du patient.
c- Le silence du patient peut-il suffire à panser ses blessures ?
2.2.3- La couleur : le noir sur le blanc.
a- Les effets de la couleur en art thérapie.
b- Peindre en noir.
c- Aspects bénéfiqus du noir, du blanc et du rouge en art-thérapie.
2.2.4- La force et l’équilibre.
3- L’ELABORATION D’UN ATELIER DE SHODO-THERAPIE.
3.1- Le projet présenté à la YWCA.
3.2- L’évolution du projet.
3.2.1-La barrière de la langue.
3.2.2- Des participants peu nombreux.
3.2.3- Un cadre peu adéquat.
3.2.4- L’échec de la première séance.
3.3- Un nouveau projet mis en place.
3.3.1- Le nouveau cadre.
3.3.2- Les travaux individuels.
3.3.3- Les travaux collectifs.
3.4- Ébauche d’évaluation de l’atelier.
3.4.1- Le déroulement des séances.
3.4.2-Les points forts.
3.4.3- Les points faibles.
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
Depuis quelques décennies maintenant, l’art thérapie est devenu un mode
d’intervention connu et reconnu. Le nombre de média utilisés est
infini. En effet, même si la peinture semble rester le mode le plus en
vogue, il n’en est pas moins vrai que l’art thérapie s’est dorénavant
étendue à un large panel d’arts tels que la vidéo, la danse, la
sculpture, le modelage, les marionnettes, le théâtre, les contes, le
collage, la photographie... Ce mémoire porte sur une forme de peinture
peu connue en Occident : il s’agit de la calligraphie japonaise appelée
le Shodô qui signifie « la voie de l’écriture ».
Nous allons faire l’hypothèse que le Shodô peut être un médium thérapeutique, qu’il a des bienfaits propres.
Nous posons donc l’hypothèse principale suivante :
La Shodô-thérapie est un mode d’intervention thérapeutique possible.
De cette hypothèse découlent ces trois sous-hypothèses que nous tâcherons de valider :
- La Shodô-thérapie répond aux exigences de l’art-thérapie.
- La Shodô-thérapie a des caractéristiques qui rendent son utilisation thérapeutique intéressante.
- Un projet de Shodô-thérapie peut être mis en place.
Pour valider cette hypothèse et ses sous-hypothèses, nous allons élaborer un plan d’argumentation précis.
Ainsi, nous dresserons tout d’abord un portrait général de l’art
thérapie pour vérifier par la suite que le Shodô répond aux exigences
de l’art thérapie.
Ensuite, en seconde partie, nous présenterons le Shodô au travers son
histoire, sa philosophie puis nous préciserons les éléments
thérapeutiques de cet art.
Enfin, en dernier partie, afin d’avancer plus encore dans
l’argumentation et démontrer que la Shodô-thérapie est possible, nous
présenterons un projet thérapeutique utilisant cet art, ce dernier
point validera alors la troisième et dernière sous-hypothèse.
1- L’art Thérapie : Principes de base
Dans cette première partie, une présentation générale composera la
première sous partie puis il sera pointé les concepts
thérapeutiques-clés de ce mode d’intervention.
1.1- Présentation générale.
1.1.1- Historique
L’art thérapie est née au XIXe siècle. L’art était alors proposé dans
les hôpitaux psychiatriques en tant qu’activité ludique. Selon JP Klein
(1), c’est tout d’abord le Marquis de Sade qui a mis en place cette
pratique. L’art thérapie offrait alors aux patients un moment de répit.
En coordonnant ces activités, le personnel médical a alors peu à peu
analysé les effets de ces ateliers. À la fin du XIXe siècle, Max Pagès
( 2) observe là une méthode permettant non seulement d’occuper le
patient mais aussi de le libérer de ses tensions. Pagès utilise alors
principalement la danse et la peinture. Mais Pagès ne va pas au-delà de
cette fonction libératrice, il ne demande pas au patient de s’exprimer
ensuite sur sa création.
Au début du XXe siècle débute la conceptualisation de l’art thérapie.
Freud s’intéresse à la création artistique et, selon lui, nombre
d’artistes sont névrosés et expriment leurs névroses dans leurs
créations. Peu à peu, l’art est perçu comme un symptôme et naît alors
la psychopathologie de l’expression. Selon Marcel Réja ((1) in Klein),
la folie est un moteur de l’activité créatrice. Beaucoup d’études vont
établir le lien entre l’art et la folie. À cette même période naît le
surréalisme, le dadaïsme. La folie est alors perçue comme source
d’inspiration, source de création. On reconnaît que l’art est langage
et que l’art est un accès à notre inconscient.
Également, à partir de la moitié du XXe siècle, la folie est peu à peu
différemment perçue, les internements en psychiatrie sont remis en
question, les troubles psychiatriques mieux compris. L’art thérapie,
elle,se conceptualise, devient un mode d’intervention reconnu.
Néanmoins, l’art thérapie rencontre des difficultés principalement
liées à la méconnaissance du grand public, la reconnaissance de cette
pratique reste difficile (Case et Dalley, 3).
Aujourd’hui, elle est principalement pratiquée en Amérique du Nord mais de nombreux ouvrages sont publiés également en Europe.
1.1.2- Le public ciblé.
L’art thérapie est une intervention bénéfique pour un éventail de
problématiques très large. En effet, Case et Dalley (3) indiquent que
l’art thérapie ou plutôt l’utilisation de l’art permet de faciliter la
thérapie dans le sens où l’art est un médium très efficace pour mettre
en place un lieu d’expression. Le seul but est donc de s’exprimer mais
l’expression revêt le commencement de la résolution de la
problématique.
De son côté, JP Klein (1) présente différentes problématiques et
explique en quoi l’art thérapie peut dénouer des nœuds, des
difficultés. Par exemple, l’adolescent peut, au travers de l’art
thérapie, sortir de sa coquille, apprendre à se connaître et assumer
l’adulte qu’il devient. Les personnes handicapées peuvent, quant à
elles, exprimer leur souffrance, rehausser leur estime de soi à travers
leur création, apprendre à aller au-delà du handicap. Notons également
la situation des personnes marginales qui peuvent apprendre à ne plus
subir leur marginalité mais l’assumer et la valoriser. Pour les
personnes ayant subi un traumatisme (deuil, abus, accidents…), l’art
thérapie est une voie de guérison, un pansement pour vivre au-delà du
traumatisme, aider à entrer dans une nouvelle phase de vie tout en
acceptant le traumatisme et ces effets. Lorsqu’il s’agit de personnes
âgées, elle est simplement source de plaisir, ou bien encore
symbolisation du passé. L’art peut permettre de laisser une trace de
soi. En outre, JP Klein souligne que le but de l’art thérapie n’est pas
d’homogénéiser les individus, les rendre tous identiques (par exemple
en dé-marginalisant les marginaux), mais à mieux se construire dans
leur individualité, leurs caractéristiques.
Selon la perspective psychanalytique de Labrouche (4), l’art thérapie
permettrait aux névrosés de s’exprimer, aux psychotiques de
retravailler leur relation à leur mère, aux dépressifs d’accéder au
plaisir, aux personnes handicapées de communiquer autrement que par le
langage, aux malades physiques d’accepter leur condition. En outre,
Labrouche indique que l’art thérapie est conseillée pour toute personne
ayant subi des carences au niveau de son développement.
Ainsi, de l’avis de ces différents chercheurs, il ressort que l’art
thérapie est un mode d’intervention répondant à un panel de
problématiques très large.
1.1.3- Le choix du médium.
Le choix du médium en art thérapie est très vaste. Il semble en fait
que tout médium peut être utilisé. Néanmoins, chacun comporte des
qualités, des limites et des effets qui lui sont propres (1,4).
Ainsi, pour exemples :
- L’écriture : quel qu’elle soit ( poèmes, contes, récits…), c’est un
mode d’expression qui permet de prendre conscience de soi, des
traumatismes vécus et de les exprimer à sa guise pour mieux les
analyser et les surmonter, pour se créer un nouveau Soi.
- Les arts plastiques : le dessin et la peinture sont simples à
utiliser et consistent en un moyen d’expression très efficace. Il n’en
est pas moins vrai qu’il faut surmonter la crainte de la feuille
blanche. Ceci peut être évincé par certains procédés mais cet obstacle
peut amener à un travail d’analyse concernant l’angoisse du vide (donc
de la mort). De plus, le dessin est une forme de langage accessible
pour les enfants car facile d’accès.
- Le modelage est un médium qui requiert plus de matériels mais il permet un travail sur le toucher, la sensualité.
- La photographie est un médium efficace pour travailler sur l’image,
l’image de soi, des autres… Elle peut par exemple être pratiquée auprès
d’anorexiques.
- Le théâtre permet également de travailler sur l’image de soi mais
aussi de retravailler sur des traumatismes en les jouant à nouveau.
Dans ce même ordre, le jeu de marionnettes, les masques ou les clowns
permettent d’extérioriser et donc d’analyser une problématique. Le
patient ou le groupe de patient peut alors jouer son propre rôle, jouer
le rôle d’un Autre ou se projeter dans l’avenir (1).
- La musique peut incarner le même rôle lorsque le patient doit être acteur et non « écouteur ».
- La danse permet de travailler sur le corps, l’expression du corps, la libération d’angoisses au travers le corps.
…
Il existe de nombreux autres médiums et tous n’ont pas encore été
analysés en tant qu’outils art-thérapeutiques. Néanmoins, nous pouvons
en conclure que le choix des médiums est immense et que chacun a ses
propres caractéristiques. De ce fait, le choix du médium est important,
certains sont plus appropriés que d’autres pour telle ou telle
problématique.
1.1.4- Le rôle du thérapeute.
Différents chercheurs ou art thérapeutes stipulent formellement que les
créations ne doivent pas être interprétées. Par contre, ce qui entour
la création est matière à analyses. En cela, l’art thérapie se
distingue de la psychanalyse lors de laquelle l’analyste analyse les
paroles du patient. Ainsi Sudres (5) indique qu’une :
« production n’a de sens que dans une relation inter et
intra-subjective, par conséquent toute lecture de l’oeuvre finie
devient partielle, interprétative et même illicite ».
En fait, il s’agit de ne pas interpréter pour ne pas enrayer le
processus créatif. Il s’agit d’analyser les paroles du patient non pas
sur ce qui concerne la création mais sur ce qui entoure la création :
ses ressentis, ses peurs, ses difficultés, ses joies... Lafargne (1)
ajoute que le thérapeute doit laisser place au patient, il doit laisser
le patient devenir Sujet et non le materner durablement pour le garder
enfant.C’est au patient de faire ou de dire:
« je pense que ce qui est opératoire du changement dans le travail
thérapeutique, c’est le développement de la capacité du sujet à engager
librement ce qu’il se sent prêt à mettre en oeuvre de son histoire ».
Dubowski (1), lui, suggère d’observer la manière de créer, de produire
car celle-ci a du sens et parfois même plus que la création finale. Par
exemple, l’agressivité de l’un, la minutie de l’autre, ou encore
l’angoisse apparente face à la création sont des matières analysables.
Le thérapeute doit donc observer le patient pendant sa production car
c’est un moment clé. Il doit, avec le patient, donner du sens à la
manière de produire, à l’attitude du patient pendant la création.
Autrement dit, lorsque le patient crée, lorsqu’il est dans le processus
de création, il y a d’ores et déjà matière à analyser.
Ainsi, nous notons que l’art thérapeute a pour rôle d’observer
l’attitude, le comportement de son patient lorsqu’il crée. Ce n’est pas
la création qui est à analyser mais le patient avant, pendant et après
sa création. L’art thérapeute apparaît donc comme un observateur qui
guide le patient, l’aide à s’exprimer, à se comprendre.
1.1.5- Le cadre
a- La nécessité d’un cadre.
L’art thérapie est la combinaison de l’art et de la thérapie. Pour que
ce ne soit pas seulement des séances artistiques, pour donner lieu à
une thérapie, il doit y avoir un cadre. Il peut exister autant de types
de cadres que de thérapeutes mais, quel qu’il soit, ce cadre permet la
thérapie. Le thérapeute construit le cadre pour répondre adéquatement à
la pathologie du patient (4). Il peut, entre autres, choisir les
horaires, le lieu et la durée des séances, le matériel utilisé, il peut
guider plus ou moins avec rigidité la création, choisir le modèle à
suivre… De ce fait, nous comprenons que le thérapeute peut laisser le
patient plus ou moins libre dans ses créations (par le choix de
couleur, de médium, de régularité des séances..) mais il reste que
c’est le thérapeute qui propose le cadre thérapeutique. Autrement dit,
c’est à lui de décider quel degré de liberté il offre au patient. Bien
évidemment, ce choix ne doit pas être laissé au hasard mais il doit
répondre à une logique thérapeutique. Par exemple, lors de ma pratique
professionnelle auprès de personnes prostituées, un atelier
journalistique était proposé et l’assiduité n’était pas imposée. Ce
choix a été pris pour ne pas effrayer les membres du groupe, pour
qu’ils n’aient pas la sensation d’être contrôlés, sentiment dont ils
souffraient beaucoup dans la rue. Ce sentiment de liberté devait leur
permettre de s’exprimer plus facilement. Si le choix avait été fait
d’exiger la présence de tous les membres à chaque séance, le suivi, les
efforts, le dynamisme de chacun auraient sans doute été différents.
Nous avions pensé, nous intervenants, que cette liberté allait
permettre d’instaurer un climat d’écoute, de compréhension de leur
situation, d’empathie afin de les mettre en confiance, de créer un
cocon non contraignant mais chaleureux qui leur permettrait de
s’exprimer, de se sentir capable. En d’autres mots, en choisissant de
venir, les membres optaient dès lors pour une démarche volontaire.
Enfin, ce cadre est important car il influence en grande partie le
déroulement thérapeutique. C’est, entre autres, le cadre qui permet
d’installer une relation thérapeutique et non une relation
enseignant-étudiant ou observateur- artiste (5).
b- Le cadre libérateur.
Le patient doit alors intégrer les règles du cadre proposé par le
thérapeute. Le fait de devoir agir selon des règles pré-établies peut
être déjà un objectif thérapeutique. Par exemple, comme le propose
Klein (1), l’adolescent apprend alors à se soumettre à l’autorité, à
accepter des limites et des règles. Ceci peut être très pertinent
lorsque le thérapeute travaille avec des adolescents ayant des troubles
du comportement. La rigidité du cadre peut alors être adaptée au besoin
du patient.
De plus, il est intéressant d’apprendre à utiliser toute la liberté
présente dans un cadre plutôt que d’essayer de toujours dépasser ce
cadre pour s’en libérer comme le préconisait en son temps Jean Jacques
Rousseau (6). Ceci peut, en effet, amener le patient à se créer son
propre espace de liberté, son propre mode d’expression à l’intérieur
d’une zone délimitée.
Également, il est pertinent de comprendre les origines des règles pour
les intégrer. Le patient accepte plus facilement les règles s’il les
comprend et alors la thérapie a plus d’efficacité car les choix
thérapeutiques sont compris, intégrés et acceptés.
Ce travail d’acceptation peut donc être un objectif thérapeutique en
soit car accepter le cadre c’est aussi apprendre à accepter ce que l’on
est telles les personnes âgées qui doivent apprendre à accepter leur
âge, les personnes handicapées, leur handicap, tout en créant un espace
de liberté dans ce qui est possible … (5) Le cadre peut donc permettre
à quiconque de travailler sur sa relation à l’autorité, aux limites qui
l’entourent (que ce soit les limites de l’âge, du handicap, des normes
sociales …) pour finalement s’en libérer.
c- Le cadre intégrateur.
Bien qu’il y ait soumission à l’autorité (symbolisé parle cadre),
l’idée n’est pas de créer des automates répondant parfaitement aux
exigences de la société mais de connaître parfaitement ce cadre pour
choisir :
1- soit de créer son propre espace de liberté à l’intérieur du cadre,
2- soit de refuser ce cadre en ayant conscience des raisons qui
conduisent à ne pas l’accepter. Cette seconde situation peut alors
ouvrir sur un échange constructif avec le thérapeute. Le thérapeute
peut alors travailler avec le patient sur son refus : Pourquoi ne pas
se soumettre ? En quoi cela me dérange ? Que dois-je modifier pour ne
plus être dérangé ? Quels parallèles puis-je faire avec ma vie en
société ?
Dans les deux cas, il s’agit de viser à une meilleure intégration en
société : soit en acceptant les règles, soit en se construisant
positivement dans son refus. Comme l’indique Klein (in Sudres, 5), ceci
peut convenir aux personnes marginales. Il n’est pas question de les
normaliser mais de les faire prendre conscience de leur marginalité, de
ses causes et de ses conséquences puis de se construire positivement
dans cette marginalité.
Nous venons donc de présenter le cadre qui permet la thérapie. Ce cadre
peut donc être plus ou moins rigide mais il oblige inéluctablement le
patient à s’y soumettre. Nous observons que le cadre permet au patient
de travailler sur son rapport à l’autorité, ce qui lui permet ensuite
de mieux se connaître et de construire un espace de liberté. Toutefois,
ce cadre doit aussi être suffisamment confortable, ouvert pour
permettre l’expression comme nous l’expliquerons par la suite.
1.2- Les concepts clés.
L’Art thérapie est maintenant un mode d’intervention reconnu, proposé
dans un nombre croissant d’institutions. Elle repose sur des concepts
thérapeutiques que nous allons présenter.
1.2.1- La création.
Le concept de création est le concept clé de l’art thérapie. Nous
allons tout d’abord différencier la création de l’artiste de celle du
patient puis nous pointerons les bienfaits thérapeutiques de la
création. En dernier point, nous présenterons le potentiel créatif de
tout individu au cours de son développement.
a- La création de l’artiste et celle du patient.
Le contexte créatif de l’artiste n’est pas le même que celui du
patient. Dans son ouvrage, Ledoux (7) note que l’artiste choisit bien
souvent de créer pour une question de survie et il choisit son médium
(8). Du côté du patient, c’est le thérapeute qui lui propose de créer
et qui impose un cadre de création.
Ledoux mentionne également que la non-préméditation de l’artiste est
importante. Il ne sait pas ce qu’il va créer et construit
progressivement son œuvre, laissant aller ses pensées, ses intuitions,
ses envies, ses pulsions. Cette non-préméditation a toutefois des
degrés divers selon les artistes car certains se préparent un minimum
avant de créer (9). Du côté du patient, le thérapeute propose une
création. Certains thérapeutes choisissent de laisser le champ de
création le plus libre possible mais il n’en est pas moins vrai qu’il y
a toujours un cadre minimum, ne serait-ce que les horaires, le local et
cela peut aller jusqu’au choix d’un modèle à suivre, d’un texte à
chanter...
La création du patient est alors préméditée dans le sens où, en allant
à sa séance, le patient se prépare à créer, il sait ce qu’il va faire.
Il va donc y penser à l’avance.
La création du patient revêt-elle alors les mêmes bienfaits, les mêmes
vertus thérapeutiques? Ledoux répond que la préméditation de la
création ne fait que repousser les effets. Le processus serait alors
simplement plus long. Ceci nous amène à faire l’hypothèse que la
préméditation peut alors sécuriser le patient, le mettre en confiance
avant de se lancer vers l’inconnu, vers son passé. Peu à peu, le
patient sera confronté à des difficultés, des sensations qui seront
matières à analyses. Mais pour parvenir à cela, il faut d’abord
installer le patient dans une situation confortable.
Enfin, sachant que la préméditation peut freiner le travail d’analyse,
le thérapeute doit veiller à ce que ses choix, son attitude ne
ralentissent pas davantage le patient mais au contraire favorise son
accès à l’analyse. Ainsi, à l’écoute du patient, à son rythme, il doit
mettre en place des outils pour indiquer le chemin du travail sur soi.
Il peut alors préparer le patient aux objectifs à atteindre,
l’interroger parfois, lui proposer des médiums facilitant l’analyse… La
place du thérapeute paraît primordiale : la préméditation peut être un
frein à la création, le thérapeute doit donc impulser la création,
mettre en place un climat propice à la création.
b- Les différentes vertus de la création.
Quelque soit l’art utilisé en art thérapie, il s’agit de créer, créer
un dessin, un poème, une histoire, une danse, un tableau… Créer à
partir d’outils différents, de techniques différentes. Quoi qu’il en
soit, il est toujours question de créer dans le sens de créer quelque
chose de nouveau, qui n’existait pas auparavant. Comme l’indique le
dictionnaire le Petit Robert, créer, c’est « donner l’être,
l’existence, la vie ». Nous allons maintenant présenter les bienfaits
thérapeutiques de la création.
- Se faire plaisir.
Pour certains thérapeutes, la création artistique revêt des qualités
thérapeutiques parce qu’elle est simplement source de plaisir (4). Se
faire plaisir est déjà un objectif thérapeutique en soi. En effet, bon
nombre d’individus sont envahis par une difficulté et ne peuvent plus
profiter de rien, prendre du plaisir à telle ou telle activité, penser
à autre chose. Se permettre de s’amuser, accepter d’avoir du plaisir,
c’est déjà un pas très important pour tout personne en difficulté.
- S’exprimer.
Selon de nombreux art-thérapeutes, l’art est un langage car créer, c’est s’exprimer.
Dubowski (10) le constate dans ses recherches et prend, entre autres,
l’exemple des enfants de 4-5 ans qui ne savent pas parler mais qui
peuvent dessiner pour exprimer ce qu’ils ressentent. Dubowski constate
la pertinence d’utiliser l’art thérapie auprès des personnes ayant des
troubles du langage ou les enfants. Ses travaux viennent réfuter des
théories plus anciennes selon lesquelles le langage verbal est l’accès,
et l’accès unique, à la pensée.
- Établir un pont vers l’inconscient.
Pour certains thérapeutes, le processus de création s’installe dans une
démarche complexe qui s’apparente au travail psychanalytique.
La création constituerait le pont entre ce que l’on est aujourd’hui,
les souffrances que l’on vit et ce que nous étions à l’origine. Lorsque
l’artiste crée, il se rapproche de ses souffrances passées. Ainsi,
selon Ledoux (7), la création permet de remonter dans son inconscient
et de faire revenir l’artiste à une époque où il n’avait pas accès au
langage. Selon Ledoux, nous ne pouvons pas nous exprimer verbalement
sur des éléments ayant eu lieu avant notre accès à la parole. Il nous
faut passer par un autre mode de langage. Et L’art apparaît comme un
moyen possible.
Puisque les mots ne peuvent évoquer le magma originel, c’est le corps
qui crie ce qu’il a intériorisé, subi, vécu dans le passé. Le corps est
alors la main du peintre, les mouvements physiques du danseur…
Le fait d’accéder à l’inconscient a plusieurs effets. Tout d’abord,
cela entraîne une libération. En fait, le patient exprime, dans l’art
thérapie, ce qui n’a peut-être jamais été exprimé ou très peu
auparavant. Il libère donc quelque chose de lui, de son histoire, de
ses sentiments, de ses pulsions et il se libère sous forme de dessin,
de danse, de sculpture…. Il ne dit pas par des mots (en tout cas pas
dans un premier temps) mais il dit au travers l’art.
De plus, le fait de ne pas avoir à dire en mots est parfois plus
confortable. Le poids des mots peut être difficilement supporté.
L’utilisation d’un intermédiaire, tel que le dessin par exemple, peut
rendre la libération plus douce parce que moins directe. Et plus la
libération s’effectue au fur et à mesure et sans crainte de la part du
patient, plus elle sera dense et aboutira sur des résultats positifs.
Enfin, l’accès à l’inconscient permet un autre rapport à soi. En effet,
donner la parole à ce qui a toujours été caché permet de mieux se
comprendre, de faire des liens entre le passé et le présent, le passé
et nos comportements actuels. Cela entraîne donc une meilleure
connaissance de soi, une meilleure compréhension de soi. Ceci est
vérifié par différents arts thérapeutes dont Lamia qui se sert de la
danse orientale et explique:
« La danse-thérapie vise la prise de conscience de soi et la libération
de tensions et de blocages inscrits dans la mémoire du corps» (11).
Se connaissant mieux, cela permet également une nouvelle construction
de soi. Cette construction se fait alors sur des bases plus solides
parce que l’on peut expliquer nos comportements et se rebâtir à partir
de ce que l’on sait de nous.
Le fruit de la création est donc un développement de soi, une reconstruction positive de soi.
c- Le potentiel de la création au fil du développement.
Dès son plus jeune âge, les hommes créent. Ses créations et les médiums
utilisés vont évoluer, certains vont ensuite plus ou moins rapidement
mettre de côté cette compétence, tandis que d’autres vont en faire leur
métier, leur passe-temps, leur exutoire... Nous allons préciser quel
est le potentiel de la création au cours de la vie.
Chez l’enfant.
Les premières créations de l’enfant sont ludiques. Les premiers
jeux-créations permettent à l’enfant de développer ses sens tels que le
toucher (prendre dans ses mains les objets), le goût (les porter à sa
bouche), l’Ouie (écouter les berceuses, “danser” au rythme de la
musique), la vue (insérer des objets dans un trou)... Au-delà de ces
apports, les premières créations de l’enfant semblent lui apporter une
certaine stabilité émotive. C’est en effet en créant et en jouant que
l’enfant va apaiser ses angoisses. Nous pouvons rappeler le concept
d’objet transitionnel de Winnicott (12) : l’enfant choisit un objet qui
deviendra l’objet favori (nommé objet transitionnel par Winnicott) pour
combler le manque, l’absence de la mère. Ainsi, il crée une relation
toute particulière avec son ourson qui tantôt représentera la mère,
tantôt lui-même. La mère deviendra alors un objet permanent, allant et
venant auprès de l’enfant au bon vouloir de ce dernier. En ce sens, les
créations permettent au petit d’homme d’apaiser ces angoisses et donc,
en quelques sortes, d’échapper à la réalité (13). Le bébé va donc
oublier l’absence de sa mère en suçant son pouce, il pourra plus tard
créer une famille imaginaire au travers ses dessins ou encore taper sa
poupée pour punir symboliquement celui qui lui a fait mal...
L’enfant crée ainsi un monde, utilisant différents moyens selon son âge pour se sentir en sécurité, pour répondre à ses besoins.
Chez l’adolescent.
L’adolescence est, comme l’a décrit Dolto (14), une période de
vulnérabilité. On quitte l’enfance pour devenir adulte, passage
difficile qui requiert une grande adaptation de la part de l’adolescent
qui se voit changer et ne se comprend pas toujours. C’est d’abord un
corps qui change. Les créations permettent alors à ce futur adulte de
s’exprimer à travers son corps, de s’en servir et non de le rejeter.
Dans les créations, comme nous l’explique un certain nombre d’artistes
(7), c’est le corps qui parle, que ce soit le corps du danseur ou la
main du peintre. Ce rapport au corps peut être tout à fait aidant pour
l’adolescent. De plus, au travers les créations, l’individu devient
Sujet, adulte, c’est le Jeu qui permet au Je de se développer. Par la
création, nous apprenons à nous connaître, à mettre en avant certaines
parties de soi, à s’exprimer soit à devenir Sujet (7). Et c’est l’enjeu
de l’adolescence que de devenir autonome, adulte. L’adolescent n’a pas
alors besoin de quelqu’un pour créer, d’un tiers (telle que sa mère
lorsqu’il était enfant), il devient indépendant: il peut jouer ou créer
seul, à sa guise, selon ses propres règles. C’est ainsi alors qu’il
apprendra à se connaître, savoir ce qu’il aime, ce qu’il souhaite, ce
qu’il veut présenter de lui... La création est en ce sens un mode
d’expression et de connaissance de soi approprié à l’adolescence.
Néanmoins, comme nous le rappelle Dolto, l’adolescence est
malheureusement une période lors de laquelle les créations sont
réprimées car l’individu se confronte à une réalité difficile,
l’environnement peut être peu enclin à de telles expériences (peur du
regard des autres, honte de son corps...). À cette période, le soutien
d’un art-thérapeute pourrait alors être tout à fait judicieux pour
stimuler l’adolescent dans son potentiel créatif.
Chez l’adulte.
Comme nous l’avons noté ci-dessus, les créations permettent au bébé
comme à l’adolescent de surmonter des périodes difficiles. Il en est de
même pour l’adulte. En effet, puisque les créations sont, entre autres,
un moyen d’expression, l’adulte peut également évoquer ses troubles au
travers ses créations. De plus, outre de travailler sur les difficultés
présentes, les créations sont une quête de soi qui permet à l’adulte de
mieux se comprendre et panser les blessures originelles. Ce retour vers
le Chaos est bien souvent nécessaire pour régler les difficultés
présentes comme nous l’avons stipulé plus haut.
Ainsi, comme nous venons de le noter, les créations comportent un
potentiel thérapeutique pour toute personne quel que soit son âge. Nous
avons également noté que très tôt, l’être humain utilise ce procédé
pour survivre, surmonter des étapes difficiles. Créer possède de
nombreuses vertus et c’est pour cela que l’art thérapie peut être
utilisée auprès d’un très large public présentant des problématiques
diverses.
1.2.2- La relation patient-thérapeute.
a- Une relation maternante
Pour évoquer la relation maternante entre le patient et son thérapeute,
nous allons dans ce paragraphe, nous appuyer sur les travaux de
Labrouche (4).
Le retour à la relation mère-enfant.
Le cadre dans lequel s’effectue l’art thérapie doit permettre aux
patients rejouer la relation mère-enfant. Le thérapeute devient la mère
du patient afin que celui ci puisse rétablir cette relation dans le but
de la reconstruire positivement. Ainsi, le lieu où se déroulent les
séances, le cadre choisi par le thérapeute (les horaires, les règles de
création, le matériel utilisé…) et l’attitude du thérapeute ont un rôle
très important. En effet, le patient doit se sentir suffisamment en
sécurité pour quitter sa peau d’adulte et se mettre à nu comme
lorsqu’il était enfant. Dans ce contexte, le processus a lieu, le
patient va retravailler sa relation avec sa mère, les difficultés,
traumatismes ou blessures. Labrouche nomme cette relation, « relation
de maternage ». Le thérapeute instaure une atmosphère maternelle et le
patient redevient enfant pour un temps. C’est à partir de ce processus
qu’un travail sur soi est possible.
La réparation.
En effet, le patient va ainsi pouvoir panser les blessures de
l’enfance, blessures qui ont eu inévitablement des effets sur sa vie
ultérieure. Cette réparation n‘est possible que lorsque les angoisses
de l’enfant ont été analysées. C’est donc en permettant un retour de
l’enfant (en enlevant sa carapace d’adulte) au travers une atmosphère
maternante et maternelle sécuritaire qu’il peut revivre les blessures
et les réparer. La réparation aboutit alors à une reconstruction de soi
(4, 15). Par exemple, l’angoisse du deuil, de la perte de l’objet peut
être revécue et analysée lors des séances d’art thérapie. Le médium
représentera cet objet. Il y a permanence de l’objet dans le sens où le
médium sera toujours existant pour le patient, il pourra à sa guise
l’amener chez lui ou le laisser dans la salle d’art thérapie, il
continuera d’exister entre les séances. Ce n’est que lorsque le patient
se sentira prêt à en faire le deuil qu’il pourra se couper de sa
création (en le donnant, le montrant aux autres, le jetant…). Le deuil
(la séparation d’avec la mère par exemple ou la perte d’un jouet) se
fera donc au rythme du patient et non brutalement pour ne pas créer de
nouvelles angoisses mais plutôt analyser les anciennes.
La complétude, l’unification.
Après le processus de réparation, le patient peut se reconstruire sans
blessures ou angoisses qui le morcellent (15). Ainsi, au lieu de
redevenir l’adulte blessé qu’il était, divisé, il renaît et se
développe au-delà de ses angoisses, ne faisant qu’un entre son enfant
intérieur et l’adulte qu’il est devenu. Selon Labrouche, le patient
pouvait déjà créer avant de commencer des séances d’art thérapie et ces
périodes de création étaient déjà une recherche du lien maternel. Mais
elles ne se faisaient pas dans un cadre adéquat lui permettant de
renouer avec son enfant intérieur de façon à soigner ses blessures. La
création avec le thérapeute va se dérouler dans le but de se
reconstruire. Cette reconstruction se fait dans une atmosphère
maternelle confortable pour, finalement, finir par couper le lien
maternel sans angoisse et devenir Un.
b- Une relation transitionnelle.
Afin de poursuivre la notion de relation maternelle, nous allons
évoquer la relation transitionnelle entre la patient et son thérapeute
à partir du concept clé de Winnicott et des travaux de Mélanie Klein et
Milner.
Le concept d’objet transitionnel
C’est à Donald Winnicott (16) que l’on doit le concept d’objet
transitionnel. Pour l’expliquer, rappelons tout d’abord que, lors de
ses premiers mois de vie, le petit d’homme ne fait qu’Un avec sa mère.
Il se sent omnipotent, pouvant répondre à tous ses besoins puisqu’il ne
considère pas son environnement comme extérieur à lui, tout est lui, il
peut donc boire à sa guise, amener à lui des objets... Petit à petit,
l’enfant va percevoir la réalité et va alors naître l’angoisse du
manque (la mère n’est pas toujours disponible pour lui) : la
désillusion. L’objet transitionnel va alors permettre à l’enfant de
combler ce manque. Selon Winnicott, cette période dure environ de 4 à
12 mois, sachant que chaque enfant est différent et que la culture
influence ce phénomène. L’objet en question est choisi par l’enfant, il
a un statut privilégié et c’est le premier objet que l’enfant reconnaît
comme extérieur à lui et extérieur à sa mère. Cet objet rassurant
diminue l’angoisse de séparation d’avec la mère et il permet à l’enfant
d’avoir du contrôle sur quelque chose. L’objet transitionnel remplace
alors l’objet maternel.
Selon Winnicott, l’homme utilise des objets transitionnels tout au long de sa vie et ses objets évoluent au fil du temps.
Enfin, avant Winnicott, Freud avait déjà évoqué pareil phénomène qu’il
nommait objet pulsionnel. Selon lui, cet objet est l’objet perdu de
plaisir érotique que le nourrisson recherche par la suite. Lacan, après
Winnicott, parlera d’un objet du désir que tout homme recherche au
cours de sa vie mais qu’il ne trouvera nulle part, il le baptisera
l’objet a.
La création en tant qu’objet transitionnel.
Winnicott a apporté l’idée que le lieu dans lequel se déroulent les
créations est un espace intermédiaire transitionnel donc un lieu dans
lequel se rejoue la relation mère-enfant. La création est un objet
transitionnel. Milner (17) a ajouté que la création est le pont entre
le conscient et l’inconscient, entre le présent et le passé, entre le
corps et l’esprit. En d’autres termes, la création permet de revenir en
arrière, ressentir au travers la matière ses blessures pour les panser
dans le présent.
Milner pose la question de l’unicité de la création, à savoir si l’on
produit quelque chose de déjà vécu ou bien si la création est unique.
En effet, puisque le créateur retourne dans son passé, il retourne dans
un “déjà vécu”. En ce sens il recrée le passé. Mais il le recrée d’une
façon différente puisqu’il utilise un médium et à un temps autre. La
création va symboliser, représenter ce passé pour finalement lui donner
une nouvelle signification. Donc la création apparaît alors unique.
De son côté, Mélanie Klein (18) apporte l’idée que la création est la
réparation de l’objet perdu. L’objet perdu c’est l’angoisse qui naît de
la perte de la mère. La perte de cet objet crée une angoisse et la
thérapie permet de revenir dans cette période pour se reconstruire,
évincer cette angoisse. La création du patient est telle la
récupération de cet objet ou la réappropriation de cet objet. Pour
créer, le patient ou l’artiste retourne dans son douloureux passé pour
le panser, créer devient alors une survie psychique.
Pour Winnicott aussi, créer est signe d’équilibre psychique dans le
sens où celui qui crée est alors capable de revenir en arrière pour
soigner ses plaies, les affronter et leur donner un nouveau sens.
Ainsi qu’elle soit utilisée à des fins thérapeutiques ou non, la
création artistique apparaît revêtir les fonctions de l’objet
transitionnel tel que décrit par Winnicott, à savoir, l’objet qui
permet de supporter l’angoisse de séparation d’avec la mère. Que le
créateur soit enfant, adolescent ou adulte, son travail aura cet effet,
cette fonction. La création rétablit le lien maternel.
Le lieu de la création est appelé espace transitionnel.
Puisque c’est l’enfant lui-même qui choisit son objet transitionnel,
nous pouvons alors penser que les choix du lieu et de la matière
utilisée sont importants car ils doivent permettre ce retour vers le
passé.
c- Une relation transférentielle.
Pour certains thérapeutes, la relation patient-thérapeute en art
thérapie s’apparente à la relation psychanalytique avec quelques
nuances. Il pourrait alors s’installer une relation transférentielle
entre le patient et son thérapeute. Pour mieux le comprendre, nous
allons présenter ce qu’est le transfert, thème crucial en psychanalyse
puis le contre-transfert ainsi que la pensée paradoxale.
Le transfert
Ce concept appartient au domaine de la psychanalyse. S. Freud s’est
longtemps interrogé sur les origines d’un tel processus durant la cure.
Le transfert peut s’observer dans beaucoup de situations quotidiennes :
la relation employé-employeur, mari-femme, ami-ami, mère-enfant ou
encore thérapeute-patient. Comme nous l’indiquent Laplanche et Pontalis
(19), il y a transfert lorsqu’il se rejoue une situation du passé entre
une personne et une autre. Plus précisément, Freud a découvert :
“comment c’est la relation du sujet aux figures parentales qui est
revécue dans le transfert avec notamment l’ambivalence pulsionnelle qui
la caractérise”.
Il ne s’agit pas de rejouer dans le sens de répéter une relation mais
de recréer une situation en y mettant en scène “le désir inconscient et
les fantasmes connexes”. Ainsi, prenons l’exemple de l’analysée qui
tombe amoureuse (ou du moins le pense) de son thérapeute.
Le contre-transfert.
Parce qu’il y a transfert dans une relation patient-hérapeute, il y a
aussi contre-transfert. De ce second concept, il existe deux
définitions très proches comme nous le précise M. De M’Uzan (20). Selon
la première définition Freudienne, le contre-transfert est “l’ensemble
des réactions inconscientes au transfert de l’analysé” tandis que selon
la deuxième, c’est “tout ce qui, de la personne de l’analyste
intervient dans la cure, et peut même y jouer un rôle d’instrument”. Il
s’agit donc soit des réactions de l’analyste soit de l’ensemble des
effets du transfert sur la cure que ce soit sur le thérapeute ou le
patient lui-même.
Ainsi, si l’on reprend l’exemple du sentiment amoureux : lors du
contre-transfert, le thérapeute pourrait à son tour éprouver de l’amour
pour sa patiente.
Le contre-transfert réunit donc deux psychismes comme l’indique M.
Klein et la relation peut s’apparenter à la relation mère-enfant (21).
En effet, comme la mère pour son enfant, il faut que l’analyste puisse
« accueillir en lui-même les éprouvés corporels du patient et tente de
les élaborer en lui, avant de lui en faire part et de les restituer ».
La pensée paradoxale.
Au delà du contre-transfert pourrait se situer la pensée paradoxale.
Cet autre concept a été développé par M. De M’Uzan (20). Selon ce
dernier, le transfert peut entraîner chez l’analyste des effets désirés
consciemmen